Développement d’un contrôleur temps réel Hexagon/Adams et MATLAB/Simulink

Pour l’étude d’un système innovant de préhension sous vide destiné à la manutention de blocs de graphite irradié


Par Riccardo Chebac, Fabio Vanoni, Alessandro Porta, Fabrizio Campi Politecnico di Milano, Département Énergie, Division Ingénierie Nucléaire

Développement d’un contrôleur temps réel Hexagon/Adams et MATLAB/Simulink pour l’étude d’un système innovant de préhension sous vide destiné à la manutention de blocs de graphite irradié

Engineering Reality 2024 Numéro 1

Accélérer la fabrication intelligente

Le graphite a été largement mis en œuvre dans l’industrie nucléaire, à la fois comme modérateur et réflecteur. Son utilisation est mentionnée en relation avec divers types de réacteurs expérimentaux, tels que le réacteur à haute température refroidi au gaz (HTGR) de Peach Bottom, le réacteur à ultra haute température (UHTREX) et le réacteur à sels fondus (MSRE). Dans la propulsion nucléaire, le graphite est combiné avec des réacteurs comme KIWI et le moteur nucléaire pour application moteur-fusée (NERVA). Dans le secteur civil, il est associé à des modèles comme le réacteur nucléaire à l’uranium métallique (MAGNOX), le réacteur de grande puissance à tubes de force (RBMK) et le réacteur avancé refroidi au gaz (AGR).

Bien que certains matériaux aient de meilleures capacités de modération, le graphite est répandu dans l’industrie nucléaire – qu’il s’agisse de modèles de réacteur avancés ou plus anciens – en raison de sa nature inerte dans un environnement non oxydant et de sa résistance aux températures élevées, en combinaison avec des technologies de production et de fabrication bien établies. Les principaux défis liés à ce matériau apparaissent après son irradiation et pendant le démantèlement de ces centrales. Les principaux inconvénients sont le volume de déchets, la présence de radionucléides à longue durée de vie, l’énergie de Wigner et la fragilisation du graphite. Ils se traduisent par des coûts de démantèlement cinq fois plus élevés et un volume de déchets dix fois plus grand par MWh que les réacteurs à eau légère (LWR).

En raison de ces challenges, seulement quatre projets de démantèlement de cette technologie ont été exécutés, avec des succès variables : Fort St. Vrain, le réacteur avancé refroidi au gaz de Windscale, le réacteur GLEEP et le réacteur de recherche du laboratoire national de Brookhaven. Il y a de ce fait un grand potentiel d’amélioration dans ce domaine. Des projets européens tels que H2020 Inno4graph ont été établis à cette fin. Sur le plan de l’optimisation, le concept de jumeau numérique gagne du terrain dans l’industrie nucléaire. Dans le contexte des centrales électriques, le jumeau numérique peut être considéré comme une combinaison d’approches physiques et analytiques ayant pour but de modéliser les composants individuels de la centrale et le système dans son ensemble. Cette méthode convient à la fois aux nouvelles et aux anciennes centrales.

Ces systèmes permettent d’analyser et de fournir des limites opérationnelles pendant les différentes phases de vie de la centrale. En particulier le démantèlement de réacteurs modérés au graphite constitue un projet complexe, avec des activités dangereuses et des incertitudes. De nombreuses structures nucléaires ont été construites avant l’ère numérique. Les documents correspondants sont donc obsolètes et incomplets. Relever ce défi nécessite diverses compétences et de nouvelles approches pour garantir un démantèlement sûr et efficace des ressources nucléaires héritées. À cet égard, la technologie du jumeau numérique peut grandement aider les opérateurs à acquérir une compréhension plus précise et mesurable de ces tâches.

Tenant compte de cela, cet article présente la première itération d’un jumeau numérique pour un réacteur MAGNOX développé dans le logiciel de dynamique multicorps ADAMS d’Hexagon. Nous allons étudier la possibilité de lever et de manipuler des blocs de graphite avec un système de préhension innovant basé sur le vide. Le modèle de robot s’appuie à la fois sur des profils de mouvement et un contrôleur en temps réel entre Simulink et ADAMS, le premier de ce genre. Le contrôleur utilise les informations mécaniques et physiques du système comme données d’entrée pour fournir des réponses en temps réel aux scénarios de suppression de blocs possibles.

Associé au contrôleur en temps réel, le simulateur s’avère efficace et prometteur pour étudier des scénarios où le processus de démantèlement doit être supervisé par un opérateur. Il peut aussi aider à prendre des décisions concernant le démantèlement de l’ensemble du noyau du réacteur modéré au graphite.

 

Méthodologie

Composants et environnement de travail

Les modèles CAO utilisés pour étudier les capacités de levage dans ADAMS View sont présentés sur la figure 1. Pour le bloc de graphite (Figure 1 (a)), on se sert d’un modèle détaillé des propriétés géométriques et physiques du graphite PGA utilisé dans le réacteur Latina, pesant 57,4 kg. Pour l’effecteur final, un modèle simplifié (figure 1 (b)) est présenté pour l’étudie des capacités de levage du système de vide. Deux systèmes de préhension sous vide, reliés avec des contraintes de translation radiales par rapport à l’axe central du système, sont placés dans des positions diamétralement opposées. Une série de bras secondaires a été ajoutée comme couche de protection supplémentaire en cas de dysfonctionnement du système de vide.

L’ordinateur utilisé est un Dell XPS 15 9570 avec 16 Go de RAM, un processeur Intel Core i7-8750H, une carte graphique dédiée Nvidia GeForce GTX 1050 Ti et tournant sous Microsoft Windows 10. L’environnement de simulation de la figure 2 représente un scénario réaliste rencontré lors du démantèlement des noyaux de réacteur MAGNOX.

Le bloc et le système de levage ont été centrés et présentent des contraintes de translation. Ce choix permet d’étudier la descente et la levée du système de même que les capacités d’étanchéité exigées pour le système de vide, sans se soucier du centrage du bloc pendant les opérations.

 

Figure 1. (a) Modèles CAO des blocs de graphite octogonaux Latina et (b) modèle CAO du système de vide utilisé dans ADAMS.

Figure 1. (a) Modèles CAO des blocs de graphite octogonaux Latina et (b) modèle CAO du système de vide utilisé dans ADAMS.

 

Figure 2. Environnement de simulation ADAMS contenant le bloc de graphite et le système robotisé.

Figure 2. Environnement de simulation ADAMS contenant le bloc de graphite et le système robotisé.

Contrôleur du système de levage

Un contrôleur PD (proportionnel dérivé) a été conçu dans Simulink, en tenant compte de l’effet de la force du poids sur le système. Cela permet d’atteindre plus rapidement un nouvel état stable du système tout en réduisant les oscillations. Ce type de contrôle a été utilisé pour tous les composants concernés par la gravité : la position verticale du robot, le mouvement de translation radial des ventouses et le mouvement vertical des bras secondaires.

Un contrôleur PD sans compensateur ajouté a été utilisé pour la rotation des bras secondaires. La figure 3 montre le contrôleur, le bloc orange représentant la connexion à l’environnement ADAMS. Le tableau 1 présente les valeurs de gain proportionnelles et dérivées pour les différents systèmes de régulation développés.

Contrôle

Variable contrôlée

Kp

Kd

Translation des ventouses

Distance de la ventouse au centre de l’axe

0,5

0,05

Translation verticale du robot

Distance du robot au sol

2,5

0,5

Translation verticale des bras secondaires

Distance entre le bras et la plaque supérieure du robot

0,5

0,01

Rotation des bras secondaires

Rotation par rapport à l’axe du bras

0,000025

0,00009

Tableau 1. Valeurs de gain proportionnelles et dérivées utilisées pour les différentes variables contrôlées.

 

Figure 3. Schéma fonctionnel du contrôleur Simulink utilisé pour le système de levage.

Figure 3. Schéma fonctionnel du contrôleur Simulink utilisé pour le système de levage.

Commande en temps réel

Les données d’entrée du contrôleur ont été modifiées à l’aide d’un joystick externe pour développer le système de commande en temps réel. En général, le contrôleur accepte les courbes de mouvement comme valeurs d’entrée – cela est montré dans la partie Résultats – ou on règle des valeurs avant le démarrage du modèle en ajoutant deux modules complémentaires dans MATLAB et Simulink. AvecSimulink desktop temps réel et Vrjoystick, il a été possible de développer un algorithme permettant la commande via un joystick externe.

Le joystick ne modifie donc pas le contrôleur, mais uniquement les paramètres d’entrée, comme le résume la figure 4. Le contrôleur actualise alors le modèle ADAMS. Les valeurs des axes et des boutons dépendent du contrôleur utilisé.

 

Figure 4. Organigramme du système joystick + contrôleur.

Figure 4. Organigramme du système joystick + contrôleur.

 

Les paramètres dans cet exemple concernent un contrôleur Sony PlayStation 4. Le contrôleur PS4 doit être connecté via USB à un ordinateur portable Windows. Dans ce cas, il est immédiatement reconnu comme contrôleur et aucune étape supplémentaire n’est nécessaire. Avant le démarrage, le code vérifie si le contrôleur est connecté. S’il ne l’est pas, la simulation s’arrête. La simulation est conçue pour fonctionner indéfiniment.

Deux modes sont possibles : batch et interactif. En mode batch, la simulation est uniquement effectuée dans Simulink. Seuls des tracés de position, rotation, etc., sont fournis et mis à jour. Le mode interactif ouvre la visionneuse ADAMS et l’environnement 3D est affiché et actualisé en temps réel avec les entrées du contrôleur.


Résultats

Nous présenterons ci-dessous deux études de cas : La première utilise des courbes de mouvement conçues pour illustrer une approche réaliste du levage de blocs de graphite pendant le démantèlement du réacteur. La deuxième montre le contrôleur en fonctionnement en temps réel.

Étude de cas 1 : commande à l’aide de la courbe de mouvement

Les figures 5 et 6 montrent des exemples de processus de levage. Le processus d’extraction se déroule comme suit :

  • Descente du robot à l’intérieur du canal du bloc de graphite
  • Expansion des ventouses, contact avec les parois internes du graphite et amorçage du système de vide
  • Levage initial léger avec garde au sol
  • Descente et rotation vers l’extérieur des bras auxiliaires
  • Accrochage des bras secondaires à la base du bloc de graphite et fixation
  • Levage final
     

 

Figure 5. Exemple de courbe de mouvement pour l’extraction de blocs de graphite à l’aide de systèmes de vide.

Figure 5. Exemple de courbe de mouvement pour l’extraction de blocs de graphite à l’aide de systèmes de vide.

 

Figure 6. Exemple de courbe de mouvement pour le fonctionnement des ventouses et des bras de sécurité pendant l’extraction du graphite.

Figure 6. Exemple de courbe de mouvement pour le fonctionnement des ventouses et des bras de sécurité pendant l’extraction du graphite.

 

Étude de cas 2 : commande en temps réel avec joystick 

Les tests ont montré que l’algorithme permettait une commande en temps réel de l’environnement de simulation développé dans ADAMS View. La figure 7 présente une capture d’écran de la vidéo où les tests ont lieu.

 

Figure 7. Capture d’écran de la vidéo où le contrôleur en temps réel a été testé.

Figure 7. Capture d’écran de la vidéo où le contrôleur en temps réel a été testé.

Conclusions

Dans le secteur de l’énergie nucléaire, en particulier en relation avec le démantèlement, l’importance de la technologie du jumeau numérique est de plus en plus reconnue, tant dans la communauté académique que dans l’industrie. Associé à l’analyse du big data, le concept de jumeau numérique s’appuie sur une combinaison de technologies qui se renforcent mutuellement, selon les principes du smart manufacturing.

Les jumeaux numériques peuvent intégrer de manière transparente des données physiques et virtuelles tout au long du cycle de vie d’un produit ou d’un processus. Ils génèrent des données considérables qui peuvent être traitées efficacement grâce à des méthodes analytiques avancées. Les informations issues de ces analyses permettent par la suite d’améliorer les performances du processus et former les opérateurs à des tâches telles le démantèlement des réacteurs nucléaires.

À cet égard, on a développé pour la première fois un système de commande Simulink, qui s’interface en temps réel avec un environnement multiphysique dans ADAMS, pour étudier des scénarios de mise hors service de réacteurs modérés au graphite en association avec des technologies avancées de préhension sous vide. Les résultats révèlent un algorithme prometteur qui pourrait faciliter le développement de solutions innovantes de même que la conception et l’optimisation de scénarios de démantèlement.

Engineering Reality 2024 volume 1

Accelerate Smart Manufacturing